SIDI BRAHIM








 Création : 8 octobre 2012
Modification 1 : 17 octobre 2012 - Mémorial des Chasseurs au fort de Vincennes
Modification 2 : 18 octobre 2012 - Video du défilé des Chasseurs
Modification 3 : 13 mars 2014 - Relation d'Alexandre Dumas
Modification 4 : 24 octobre 2017 - Tableau du marabout Sidi Brahim 
 

ORIGINE DES CHASSEURS À PIED

En 1743, on voit apparaître le terme de "Chasseur", troupe de partisans de l'Armée Royale. Mais l'ancêtre indiscutable des Chasseurs est la "Compagnie des Chasseurs d'essai" créée à Vincennes en 1837 par le Duc d'Orléans, fils ainé du Roi Louis Philippe.

Le 19 juillet 1842, suite au décès du jeune Duc d'Orléans dans un accident de voiture, les dix bataillons de Chasseurs à pied reçoivent le nom de "Chasseurs d'Orléans".





QUELQUES TRADITIONS DES CHASSEURS À PIED

Comme tous les groupes à forte personnalité, les Chasseurs ont depuis très longtemps manifesté la leur par l'emploi d'un certain nombre de règles qu'il est inconvenant de ne pas appliquer. Exemples concernant les termes qui n'ont pas à être utilisés car ils sont "impropres" ou n'existent pas chez les Chasseurs :
- Il n'existe pas de "CASERNE" de Chasseurs, car, de même que les cavaliers ou les artilleurs, les Chasseurs vivent dans les "QUARTIERS".
- Il n'existe pas de "MUSIQUE" de Chasseurs, car ceux-ci n'ont que des "FANFARES".
- Le mot "JAUNE" pour désigner la couleur des passepoils, liserés, fanions, flammes, clairons, soutaches, etc ... est absolument proscrit. Le mot "JONQUILLE" est le seul convenable chez les Chasseurs qui ne sont qu'argent, bleu et jonquille.
- Le Chasseur ne porte pas un "UNIFORME" mais une "TENUE".
- Le terme de "RÉGIMENT" n'a jamais été employé avec le mot "Chasseur" car de tous temps, leurs formations n'ont été rassemblées qu'en "BATAILLON" ou "GROUPE" ou "DEMI-BRIGADE".
- Dans les fanfares de Chasseurs, il n'y a ni "TAMBOUR" ni "GROSSE CAISSE", ni "CYMBALES".




VISITE DU MEMORIAL DES CHASSEURS

Pour les Chasseurs, le "musée du Château de Vincennes" est "Le Mémorial des Chasseurs".


 - Chasseurs, si vous ne vous rendez pas, on va me couper la tête. Moi je vous dis, faites vous tuer jusqu'au dernier plutôt que de vous rendre "

 L'attente vaine des renforts

Les Drapeaux dans la crypte


 Le tombeau des Braves

Sétifien, si tu nous lis ...


Pour en savoir plus sur les Chasseurs, on pourra consulter le site :

 

LES CAVALIERS D'ABD EL-KADER

Une des données que l'armée française, et en particulier le colonel de Montagnac, n'avait pas su prendre en compte était la valeur guerrière des cavaliers algériens. Près de deux mille ans avant, César avait su tirer parti des cavaliers germains, les meilleurs.




Kiala - par Auguste Raffet


Les cavaliers d'Abd el-Kader, vêtus de rouge - les Kiala - même en fin de son épopée, étaient redoutables. Voici ce qu'Abd el-Kader, cavalier émérite, disait des chevaux :
- Vous me demandez combien de jours le cheval arabe peut marcher sans se reposer et sans trop en souffrir ? Sachez qu'un cheval sain de tous ses membres qui mange d'orge ce que son estomac en réclame, peut tout ce que son cavalier veut de lui.

( Lettre d'Abd el-Kader au général Eugène Daumas - 1851 )


SIDI BRAHIM

 Djemaa Ghazaouet-NEMOURS-,
26 septembre 1845, fin de journée… Seize hommes blessés et épuisés sont recueillis par la garnison venue à leur rencontre : il s’agit du caporal Lavayssière, de quatorze chasseurs et du hussard Nataly. On les écoute. Ils racontent leur marche terrible de trois lieues sous le soleil de plomb, constamment harcelés par les Arabes contre lesquels ils ont dû lutter la baïonnette, car il y avait longtemps qu’ils n’y avaient plus de munitions. 


Ils étaient près de quatre-vingt, formés en carré, les blessés au centre dont l’épuisement obligeait à de fréquents arrêts lentement, environnés d’ennemis, vers Djemaa Ghazaouet qu’il leur fallait atteindre à tout prix. Leur fatigue était immense, mais surtout la soif les torturait, lorsqu’ils parvinrent dans le lit de l’oued Mersa, à deux mille mètres de leur objectif. 

De l’eau, enfin ! Ils se jetèrent sur elle, mais les hommes de la tribu des Ouled Ziri les attendaient et ce fut un carnage. Déjà blessés, le capitaine de Géreaux et le lieutenant de Chappedeleine ont été tués les premiers… Seuls seize personnes ont survécu.

"Tout a commencé le 21 septembre 1845.

Depuis le début du mois, l'Émir Abd el-Kader, du Maroc où il s'était réfugié, avait entrepris de soulever les tribus algériennes dont  beaucoup, sur la frontière, s'étaient déjà ralliées à nous.

Ce jour-là, le Caïd Trari, sous prétexte de nous appeler au secours, nous entraîna en réalité dans un traquenard. Le Colonel de Montagnac, commandant les troupes basées à Djemaa Ghazaouet, n'écoutant que son envie d'en découdre, se mit à la tête d'une petite - hélas trop petite - colonne : 60 cavaliers du 2 ème escadron de Hussards et 350 Chasseurs ...

Le 22 au matin, le Caïd Trari oriente Montagnac vers le sud-est et on campe en plein bled ... Le 23 à l'aube, Montagnac, plein d'allant, décide de se porter vers le petit parti de cavaliers ennemis aperçu la  veille. ... et c'est le drame.

Surgissant brusquement des crêtes environnantes, 5 à 6 000 cavaliers arabes, menés par Abd el-Kader en personne, fondent sur la petite colonne. Nos cavaliers sont submergés, et, malgré une défense désespérée, sont bientôt anéantis. Les trois compagnies de Chasseurs forment le carré et font face. Au milieu d'elles, Montagnac est tué. On charge par compagnie pour se dégager. La lutte va durer 3 heures. Puis, disloquées, dispersées, les unités du 8 ème  d'Orléans succombent sous le nombre et sont massacrées ...

L'Émir pense que, parachevant sa victoire, il va facilement écraser les quelques restes de la colonne française. Pour lui, ce sera l'affaire de quelques instants ...

... Il va se heurter, pendant trois jours et trois nuits à la résistance des 80 chasseurs du Marabout de Sidi Brahim.

Dans l'après-midi du 23 septembre, les Arabes sont en masse autour de la Kouba ... et c'est le siège. Les assauts des troupes de l'Émir se succèdent. Les harcèlements sont permanents. Les vivres et les munitions s'épuisent. Sous le soleil torride, l'eau manque rapidement. Mais les Chasseurs ne cèdent pas. Dès le début, le capitaine de Géreaux a fait confectionner un drapeau tricolore de fortune pour attirer l'attention de la colonne qui opère non loin. Il voit à la jumelle cette colonne attaquée à son tour et s'éloigner.

Par trois fois, les Arabes somment les Chasseurs de se rendre. À la première sommation, de Géreaux répond que ses Chasseurs et lui préfèrent mourir. À la seconde, assortie de menaces contre les prisonniers, il répond encore que ses Chasseurs et lui sont à la garde de Dieu, et attendent l'ennemi de pied ferme. À la troisième, de Géreaux, blessé, épuisé, ne peut répondre lui-même, le caporal Lavayssière s'en charge, et ayant emprunté le crayon du capitaine, écrit : "Merde pour Abd el-Kader ! Les Chasseurs d'Orléans se font tuer mais ne se rendent jamais !".

Après les sommations, viennent les menaces et bientôt les sévices. C'est d'abord le capitaine Dutertre, fait prisonnier le 23 septembre, qui, amené devant la murette, crie à ses camarades :

- Chasseurs, si vous ne vous rendez pas, on va me couper la tête. Moi je vous dis, faites vous tuer jusqu'au dernier plutôt que de vous rendre ". 
Quelques instants plus tard, sa tête tranchée est promenée par les Arabes autour de la Kouba, bien en vue de ses défenseurs.

Ce sont alors les prisonniers des combats précédents qui sont traînés de même, les mains liées pour ébranler la détermination des hommes de Géreaux.
- Couchez-vous, hurle Lavayssière
Et il fait aussitôt déclencher une fusillade sur l'escorte d'Abd el-Kader qui se trouvait à proximité, et est lui-même blessé à l'oreille.

Enfin, c'est le Clairon Rolland, lui-même aux mains de l'ennemi, qui reçoit l'ordre, sous menace de mort, de sonner "la Retraite". Il s'avance et vient, à pleins poumons sonner "la Charge".

Les jours passent, la résistance ne faiblit pas. Mais les secours n'arrivent pas. De Géreaux, de plus en plus affaibli, mais qui a gardé la tête froide et le commandement, se rend compte que la situation où il est ne peut plus durer. Il décide alors qu'il faut percer et essayer de regagner Djemmaa Ghazaouet, à près de 

15 kilomètres.

Le caporal Laveyssière qui, depuis le début, s'est révêlé un homme d'action exceptionnel, prendra le commandement du détachement. Les officiers, blessés, ne sont plus en état d'assurer cette mission ...

Le 26 septembre, à l'aube, on escalade la face nord de la Kouba, on bouscule les petits postes arabes complètement surpris, et en carré, les blessés au centre, on se met en marche dans la plaine, sous le soleil qui monte.

Ce fut une marche terrible de trois lieues sous un soleil de plomb, constamment harcelés par les Arabes, contre lesquels les Chasseurs luttent à la baïonnette, car il y a longtemps qu'ils n'ont plus de munitions.

La soif les torturait lorsqu'ils parvinrent dans l'oued Mersa, à 2 000 mètres de leur objectif. C'était l'endroit et le moment où les attendait la tribu des Ouled Ziri. Ce fut un carnage. En fin de journée, seize hommes, épuisés, harassés, blessés, sont recueillis par la garnison venue à leur rencontre. 


Tous, bouleversés, les écoutent ... "

( Avec l'aimable autorisation de la Fédération Nationale des Amicales des Chasseurs à Pied, Alpins et Mécanisés )

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Mais voici la relation que donne Alexandre Dumas dans le Chapitre XV de son ouvrage "Le Véloce" :

On avait signalé la présence d'Abd-el-Kader sur la frontière du Maroc. 


Au nombre des tribus qui paraissaient s'être franchement ralliées à nous était la tribu des Souhalias. Cette tribu était puissante, et des ordres avaient été donnés pour qu'on la maintînt par tous les moyens possibles dans notre amitié.
Mais, plus elle nous avait jusque-là donné des gages de cette amitié, plus elle avait à craindre la vengeance de l'émir. Nous devions donc la soutenir, car, en la soutenant, nous la gardions pour alliée, tandis qu'au contraire, en l'abandonnant, nous nous en faisions une ennemie.
 

Sur ces entrefaites, et comme le colonel Montagnac était décidé pour le parti le plus généreux, un Arabe parut dans le camp. Il venait au nom de Trahri, chef des Souhalias. Trahri était plus dévoué que jamais, disait-il, à la cause française, l'approche du danger n'avait fait qu'exalter son amitié : si la garnison de Djema-r'Azouat voulait faire une sortie et venir s'embusquer dans sa tribu, il s'engageait à livrer Abd-el-Kader.

Le rêve de tout chef de poste est de prendre l'émir : rêve glorieux qui, pour beaucoup, est allé s'éteindre dans la mort. C'était au reste celui qui constamment avait préoccupé le colonel Montagnac. Dix fois ses amis lui avaient entendu crier : « Je prendrai l'émir, ou je me ferai tuer. » 


Il résolut donc, comme nous l'avons dit, d'aller au secours des Souhalias. Le même jour, il donna ses ordres. La garnison était faible et, à cette époque, tout entourée d'ennemis. Les postes avancés se composaient de deux ou trois blockhaus éloignés de cinq cents pas à peine de la ville.


Le colonel Montagnac résolut de l'affaiblir le moins possible. Il dressa un état de ceux qui devaient l'accompagner, leur nombre se monta à 421 hommes. Le 8e bataillon de chasseurs d'Orléans fournit 10 officiers et 346 hommes. Le 2e hussards, 3 officiers et 62 hommes. Les officiers étaient : Messieurs le colonel Montagnac ; le chef de bataillon Froment Coste ; le chef d'escadron Courby de Cognord ; l'adjudant-major Dutertre ; le capitaine de Chargère ; le capitaine Géreaux ; le capitaine Burgaud ; le capitaine Gentil-Saint-Alphonse ; le lieutenant Klein ; le lieutenant de Raymond ; le lieutenant Larrazée ; l'adjudant Thomas ; et le docteur Rosagutti. 



Nous voudrions pouvoir inscrire sur ce papier, et que ce papier fût de bronze, les noms des 408 soldats qui suivaient ces 13 chefs. 



Le dimanche 21 septembre 1845, à dix heures du soir, la colonne sortit silencieusement de Djema-r'Azouat ; ceux qui restaient regrettaient de rester, ceux qui partaient étaient fiers de partir. 


Jusqu'à deux heures du matin, on marcha dans la direction de l'ouest. à deux heures du matin, on fit halte, on dressa des faisceaux, et l'on se coucha derrière. Trois cents dormirent cette nuit sur la terre qui, trois jours après, devaient dormir dessous. À huit heures du matin, l'on déjeuna, à neuf heures, on se mit en marche, à dix heures, le camp était établi près de l'oued Tarnana, où l'on devait passer la journée.


Pendant que l'on déjeunait, un Arabe avait paru, faisant des signes amis. On l'avait conduit au colonel, qui avait aussitôt appelé l'interprète. L'Arabe était un messager qui venait prévenir le colonel que l'Émir s'avançait avec des forces importantes, et se dirigeait sur Bou-Djenam. Le colonel appela aussitôt près de lui les deux officiers supérieurs. C'étaient le chef de bataillon Froment Coste, le chef d'escadron Courby de Cognord. Il leur communiqua la nouvelle et leur demanda avis. L'avis fut de continuer la marche. C'est sur cet avis que l'on était venu camper à l'oued Tarnana.



Là, un second messager arriva. Celui-là portait une lettre de monsieur Coffyn, capitaine du génie et commandant intérimaire de la place de Djema-r'Azouat. La lettre était du commandant de Barral. Elle avait pour but de demander au colonel Montagnac 300 hommes que réclamait le général Cavaignac, qui était alors sur la route d'Ain-Kobeira. 


Le colonel fit appeler une seconde fois messieurs Froment Coste et Courby de Cognord, et leur communiqua la lettre du commandant de Barral comme il leur avait communiqué l'avis de l'Arabe. Seulement, en la leur mettant sous les yeux, il leur dit :
« Messieurs, cette lettre a éprouvé 25 ou 30 heures de retard. Le commandant me demande 300 hommes du 8e bataillon, ce détachement réduirait nos forces à 108 hommes et nous forcerait par conséquent à retourner sur nos pas, ce qui serait une honte pour nous, après l'avis que nous venons de recevoir, puisque nous aurions l'air de fuir le combat. Mon opinion est de rester dans la position où nous sommes, est-ce la vôtre ? » 


L'opinion des deux officiers fut conforme à celle du colonel. La destinée les poussait. On s'apprêta à répondre à monsieur Coffyn. Mais, en ce moment, les vedettes des hussards, qui étaient placées sur un petit mamelon, à un demi-quart de lieue, aperçurent quelques cavaliers arabes qui tournaient une montagne située juste en face du camp qui venait de s'établir. On était sur l'oued Taauli. On retint le messager jusqu'au moment où l'on saurait ce que c'était que ces Arabes.


Pour arriver à ce résultat, le colonel Montagnac donna l'ordre au chef d'escadron Courby de Cognord d'envoyer le maréchal des logis chef Barbut, faisant les fonctions d'adjudant près de lui, avec quelques hommes, pour s'assurer de ce qui se passait.
À peine l'adjudant eut-il rejoint les vedettes, que les Arabes que l'on venait d'apercevoir mirent leurs chevaux au galop pour tâcher de couper à l'adjudant et aux trois vedettes le chemin du camp. Ces Arabes étaient à peu près au nombre de trente.


 L'adjudant et les trois vedettes se replièrent assez rapidement pour n'avoir rien à souffrir de quelques coups de feu que leur tirèrent les Arabes. Ces coups de feu tirés, les Arabes firent volte-face et disparurent dans un pli du terrain. Les hostilités étaient commencées ; se retirer, c'était presque fuir. On écrivit au capitaine Coffyn une lettre dans laquelle on lui fit part de la position, et le messager partit pour Djema-r'Azouat avec la lettre.

Une heure plus tard, on vit reparaître sur la même montagne une cinquantaine de cavaliers arabes. Parmi ceux-ci, étaient quelques marocains que l'on reconnaissait à leurs bonnets rouges. Le colonel se porta de trois cents pas en avant du camp pour mieux observer ces nouveaux venus. Il donna aussitôt l'ordre de replacer les vedettes.


À la nuit tombante, les vedettes furent rappelées au camp, et des postes du 8e bataillon furent placés en avant des lignes. En même temps, le colonel Montagnac prévint les deux officiers supérieurs qu'on lèverait le camp vers les onze heures du soir, et, qu'avant de le lever, on allumerait de grands feux pour faire croire à l'ennemi que l'on ne faisait pas de mouvements. 


À onze heures, avec le moins de bruit possible, la petite colonne se mit en marche, s'avançant dans la direction de Carcor. Mais, à peine fut-elle sortie du camp, qu'elle essuya deux coups de feu. Ces deux coups de feu, tirés sur l'arrière-garde ne blessèrent personne, mais indiquèrent que l'on n'avait pu cacher aux Arabes le mouvement que l'on venait de faire. Un moment après, un troisième coup de feu éclata sur le flanc droit de la colonne, on était observé de tous les côtés. La marche se continua sans autre incident jusqu'à Carcor, où l'on établit le bivouac.


Tout cela s'était fait dans la nuit ; d'ailleurs, la distance parcourue était de deux lieues à peine. Alors on se trouvait à cinq lieues à peu près de Djema-r'Azouat. À la pointe du jour, on commença d'apercevoir les Arabes. Ils étaient disséminés sur les crêtes de collines qui faisaient face au camp. Ils paraissaient être sept à huit cents, tous cavaliers. Les cavaliers avaient pour la plupart mis pied à terre afin de mieux nous observer. 


À sept heures, le colonel ordonna à monsieur Courby de Cognord de faire monter à cheval les soixante hussards, et aux capitaines Larrazée, de Chargère et de Raymond, de le suivre avec les 3e, 6e et 7e compagnies. Trois escouades de carabiniers, sous les ordres du sergent Bernard, devaient se joindre à eux. C'était un peu plus des deux tiers de la troupe. Deux compagnies, la 2e et les carabiniers, sous les ordres du chef de bataillon Froment Coste, devaient demeurer à la garde du camp, où on laissait toutes les charges et tous les bagages.


Le colonel se mit à la tête de cette petite colonne composée de 320 ou 330 hommes, et s'avança l'espace d'une lieue à peu près.
Là, il fit halte : il était en présence de l'ennemi. L'ennemi paraissait trois fois plus nombreux que nous. Jusque-là, pour ne pas fatiguer les chevaux, les hussards les avaient conduits par la bride. Arrivé là, le colonel ordonna de monter à cheval, et tandis que l'infanterie demeurait, la crosse au pied, à l'endroit de la halte, il s'élança avec les 60 hommes de cavalerie sur les 1000 Arabes à peu près qu'il avait en face de lui. 


Que l'on raconte cela à tout autre peuple que le nôtre, et il croira la chose impossible ou les hommes insensés. Avant d'avoir atteint l'ennemi, 10 à 12 hommes était déjà tombés sous la fusillade. On alla se heurter à ce mur de feu. 


Au bout de dix minutes de combat, le colonel Montagnac, le chef d'escadron Courby de Cognord, le capitaine Gentil-Saint-Alphonse et les 30 hommes qui leur restaient étaient obligés de battre en retraite. Mais, à moitié chemin, ils avaient été rejoints par l'infanterie qui s'était élancée au pas de course. On se trouvait 280 hommes à peu près contre 1000, on pouvait reprendre l'offensive, et on la reprit. 


Les Arabes à leur tour reculèrent. On les poursuivit comme nos soldats poursuivent.

Tout à coup, au moment où la petite colonne venait de s'engager dans un ravin, le colonel Montagnac vit descendre de toutes les crêtes environnantes des troupes de cavaliers et de Kabyles dont on n'avait pas même soupçonné l'existence, cachés qu'ils étaient dans les replis du terrain. Le colonel comprit qu'il n'y avait plus de victoire probable, ni même de retraite possible. Il prit ses dispositions pour bien mourir.
Cependant, il y avait encore une trouée. Un hussard s'élança dans ce vide pour aller demander au chef de bataillon Froment Coste le secours d'une de ses compagnies. Puis le tambour battit, la trompette sonna, et, au sabre, à la baïonnette, on gravit le versant gauche du ravin, on prit position, et l'on forma un carré. 


Au moment où le colonel Montagnac prenait place au milieu de ce carré, une balle le frappait au front. Il tomba blessé mortellement. « Le capitaine Froment Coste, dit-il, le capitaine Froment Coste ! » Le maréchal des logis chef Barbut partit au galop pour accomplir le dernier ordre de son colonel.


Les Arabes le virent s'éloigner et s'élancèrent à sa poursuite, mais ils étaient obligés de tourner la montagne, tandis que lui suivait le ravin. Plus de cinq cents coups de fusil lui furent tirés, dont pas un ne l'atteignit. Ce fut au milieu d'une traînée de flamme et de fumée qu'il disparut dans la direction du camp.

 
Dix minutes après, le colonel Montagnac, entièrement hors de combat, remettait le commandement à monsieur Courby de Cognord. Aux côtés du colonel, tombaient, presque en même temps que lui, le capitaine de Chargère et le capitaine de Raymond. Il restait à peu près quarante-cinq hussards.
Le chef d'escadron Courby de Cognord et le capitaine Gentil-Saint-Alphonse se mirent à leur tête pour faire une dernière charge, et, par ce suprême effort, dégager la colonne que les balles décimaient à distance.


Au moment où ils s'élançaient dans ce gouffre non moins mortel que celui de Curtius, l'émir descendait la montagne. On le reconnaissait à son drapeau et à ses soldats réguliers. Au bout de cinquante pas, les cavaliers étaient réduits à trente, vingt pas plus loin, ils étaient forcés de s'arrêter. Tout à coup, on vit monsieur Courby de Cognord rouler sur le sable ; son cheval venait d'être tué. Aussitôt, le hussard Tétard sauta à bas du sien et le donna à son chef d'escadron, qui se trouva momentanément remonté. Dix minutes après, ce second cheval était tué comme le premier. 


Alors la plaine tout entière se couvrit d'Arabes et de Kabyles. à peine pouvait-on, au milieu de ces burnous blancs et sous cette fumés sombre, reconnaître les deux points sur lesquels achevait de mourir cette double poignée de braves. Pendant ce temps, le premier messager avait atteint le camp. Il avait trouvé le commandant Froment Coste déjà en chemin avec la 2e compagnie. 


À deux cents pas plus loin, apparut le second messager ; l'un annonçait le danger, l'autre la mort. Le chef de bataillon et ses 60 hommes s'élancèrent au pas de course, laissant à la garde des bagages le capitaine de Géreaux et ses carabiniers. On entendait la fusillade, et, au milieu de la fusillade, les décharges régulières de nos soldats. Seulement, à chaque décharge nouvelle, le bruit allait s'affaiblissant. 


On avait fait un quart de lieu à peu près, lorsqu'on aperçut le hussard Metz qui se défendait contre cinq Arabes : c'était le reste de huit qui l'avaient poursuivi au moment où il pansait son officier, monsieur Klein, qui venait d'être blessé. Il s'était défendu d'abord avec les deux pistolets de son officier, qu'il avait jetés après les avoir déchargés, ensuite avec les deux siens, ensuite avec sa carabine, et enfin avec son sabre. 


À l'approche de la compagnie conduite par monsieur Froment Coste, les cinq Arabes prirent la fuite. Au bout d'une demi-heure de marche, la fusillade, qui avait été toujours se ralentissant, cessa tout à fait. Monsieur Froment Coste s'arrêta ; il comprit que tout était fini, ceux au secours desquels il allait étaient morts. à cette heure, la moisson de têtes se faisait.


Le commandant Froment Coste ordonna aussitôt la retraite ; on n'avait qu'une chance de salut, c'était de regagner le camp et de se réunir à la compagnie de Géreaux. On fit volte-face.
Mais les sanglants moissonneurs avaient fini, et s'épandaient dans la plaine au grand galop de leurs chevaux. En un instant, la compagnie fut entourée, et le troisième massacre commença. Le chef de bataillon n'eut que le temps de commander le carré. La manœuvre s'exécuta sous le feu de dix mille Arabes comme elle se fût exécutée au Champ-de-Mars.


De tous ces hommes, un seul donna, non pas un signe de crainte, mais une marque de regret. C'était un jeune chasseur de vingt ans, nommé Ismaïl. Il s'écria : « ô mon commandant ! nous sommes perdus. » 


Le commandant sourit au pauvre enfant, il comprit qu'à vingt ans on connaissait si peu la vie qu'on avait bien le droit de la regretter. « Quel âge as-tu ? demanda le commandant. -Vingt et un ans, répondit-il. -Eh bien ! tu auras donc à souffrir dix-huit ans de moins que je n'ai souffert ; regarde-moi, et tu vas voir comment on tombe le cœur ferme et la tête haute. » Il n'avait pas achevé qu'une balle le frappait au front, et qu'il tombait comme il avait promis de tomber.


Cinq minutes après, le capitaine Burgaud était tombé. « Allons ! mes amis, dit l'adjudant Thomas, un pas en avant, mourons sur le corps de nos officiers. » Ce furent les dernières paroles distinctes que l'on entendit. Le râle de l'agonie leur succéda, puis le silence de la mort. La 2e compagnie avait disparu à son tour. Il ne restait plus debout que la compagnie du capitaine de Géreaux, laissée à la garde du camp.